Conclusions de la Semaine sociale 2025 "Pour un futur désirable, habiter la terre autrement".
Par Ariane Estenne, présidente du MOC
L’intitulé de nos deux journées disait : « Pour un futur désirable, habitez la terre autrement. »
La Terre, aujourd’hui, est blessée. Le désastre écologique en cours nous entraine, sans retour, vers un monde déréglé. Un monde où il faut déjà composer, selon les régions et les saisons, tantôt avec des canicules, des incendies, la soif, tantôt avec des pluies torrentielles, des tempêtes et des zoonoses inédites. Un monde où l’intensité comme la fréquence de ces dérèglements sont imprévisibles. Et leurs conséquences ? Encore plus ingérables, encore plus inégalitaires.
Ce désastre climatique fracture, divise, sépare. Il creuse une faille : des bulles climatisées pour les plus riches, tandis que pour tous les autres, l’air est devenu irrespirable. Et n’oublions jamais, la sixième extinction de masse est déjà en cours. 60 % du vivant disparu en 50 ans.
Comme le disait Édouard Glissant : « Ce que nous faisons à la Terre, nous le faisons à nous-mêmes. » Et par là, ce que nous infligeons au climat, nous l’infligeons aux plus précaires, aux plus exposé·es, dans nos villes comme dans les Suds. Dans ce contexte, ces deux journées de Semaine sociale visaient à mettre en lumière les résistances, les expérimentations, les formes nouvelles d’habitabilité.
Je vais construire mon message autour d’un point d’ancrage : l’hypothèse d’un réveil. Un réveil qui, partant des menaces, appelle des alliances. Une phase de réveil s’ouvre, après une longue léthargie.
S’éveiller, c’est voir les menaces qui nous font face. C’est les nommer et les comprendre afin de les affronter.
Notre monde semble gouverné par la peur. L’agenda politique est devenu un agenda de panique : la guerre imminente et le réarmement massif, le « scénario à la grecque », les croquemitaines de la drogue, la surinflation et ce dernier cadeau de Pâques, cet accord fédéral indécent.
Mais la peur ne peut être notre boussole. Elle engourdit. Elle anesthésie le sens. C’est pourquoi nous avons la responsabilité de lui opposer une pensée et des actes qui respirent. C’est pourquoi nous rappelons qu’un réveil se dessine. En Belgique comme ailleurs, ça bouge !
S’éveiller, c’est voir les menaces qui nous font face. C’est les nommer et les comprendre afin de les affronter. Quelles sont ces menaces ? La menace écologique, la menace militaire, la mise à mal de l’État social et de l’État de droit, la persécution des minorités, les discriminations racistes, sexistes, le déni des génocides en cours, et l’impuissance du droit international. L’horreur s’intensifie, – au Congo, au Soudan, en Haïti,... – mais nous détournons le regard ou pire, travestissons la réalité. À Gaza, le droit international est piétiné à tel point qu’un état de siège est en cours. Un siège total qui rend possible le plus insoutenable : une population désarmée est non seulement bombardée, mais en plus condamnée à la maladie et à la famine.
À ces menaces bien réelles s’ajoutent des réponses indigentes, voire fallacieuses. Des discours creux, des sophismes habillés de novlangue, des contresens pervers. Marine Le Pen, se comparant à Martin Luther King… au nom d’une soi-disant « discrimination inversée ».
Nous, au MOC, nous disons :
– Le néolibéralisme n’est pas une solution. Il est le problème.
– La croissance ne freine pas l’effondrement. Elle l’accélère.
– L'austérité est une croyance. Pas une science.
– La militarisation ne prévient pas la guerre. Elle la prépare et la cautionne.
– La démocratie politique n’épuise pas le projet démocratique ; et l’action de l’État ne peut s’exercer contre la société civile, seule garantie que le pouvoir ne se retourne pas contre la démocratie. Tant en Région wallonne, qu’en Fédération Wallonie Bruxelles, cette démocratie culturelle passe par la continuité des engagements publics en faveur d’un associatif fort et indépendant.
Voilà la boussole du MOC. Notre boussole.
Et à cette lumière, nous lisons l’accord de l’Arizona pour ce qu’il est : une offensive réactionnaire tous azimuts, une offensive anti-démocratique, anti-sociale, antiféministe, anti-écologique, anti-migrants, anti-culture. Des effets d’annonce. Des mantras. Des incantations. Rien qui nous permette de répondre aux urgences, de prendre soin des plus vulnérables, de protéger nos acquis dans un monde en plein bouleversement. Rien qui nous permette de réparer ni de rêver, ensemble.
Mais nous ne sommes pas seul·es. Il y a des foyers de résistance. Des poches de feu. Des lieux où le réveil ne se pense pas seulement, mais où il se vit. Le premier de ces lieux, c’est la justice. La justice qui se rend encore. Parfois. Avec courage. En Belgique, la Cour constitutionnelle qui défend le droit de grève en encadrant strictement les recours contre les piquets, dans « l’affaire Delhaize ». En France, la condamnation de Marine Le Pen et le remarquable procès Mazan. Aux États-Unis, certains juges qui s’opposent au retour du fascisme de Trump. Angela Davis l’a dit : « Contre le fascisme, l’espoir est une exigence absolue. » Mais en parallèle, la justice vacille. La séparation des pouvoirs est prise d’assaut, les institutions internationales mises à mal. Et même chez nous, le Premier ministre ose questionner l’application des décisions de la Cour pénale internationale.
Partout, des gens se rassemblent, recréent du sens, agissent. Sur tous les fronts : le travail, le soin, l’école, la justice, les violences institutionnelles et policières…
Deuxième lieu de réveil : les collectifs. Les associations. Partout, des gens se rassemblent, recréent du sens, agissent. Sur tous les fronts : le travail, le soin, l’école, la justice, les violences institutionnelles et policières… Un réveil intersectionnel, transgénérationnel, interculturel. Et n’oublions pas de continuer à apprendre aussi des essentielles et précieuses luttes des Suds, celles qui défendent la terre contre l’accaparement et la liberté de mouvement contre les déportations.
Troisième foyer de subversion : les luttes féministes et LGBTQIA+. Ces luttes défont les hiérarchies, les normes, les cages. Elles interrogent le rapport aux corps, aux désirs, aux familles. Ce n’est donc pas un hasard si elles sont les premières cibles des régimes autoritaires. Parce que leur multiplicité et leur fluidité explosent les binarités, celles-là mêmes qui détruisent le monde.
S’organiser, c’est réapprendre à lutter, pour pouvoir imaginer un avenir commun. Et pour imaginer cet avenir commun, nous avons besoin de larges délibérations démocratiques, seules à même de produire des réponses collectives et porteuses de justice.
Alors, qu’est-ce qu’on fait ? On s’organise. On n’a jamais rien trouvé de mieux. Mutuelles, syndicats, une base inclusive, diverse, consciente de ses identités plurielles. S’organiser, c’est réapprendre à lutter, pour pouvoir imaginer un avenir commun. Et pour imaginer cet avenir commun, nous avons besoin de larges délibérations démocratiques, seules à même de produire des réponses collectives et porteuses de justice. Et pour ça, le MOC revient sans trembler avec sa boussole : droit international, sécurité sociale, services publics, droits du travail, dont la réduction collective du temps de travail. Et cela évidemment dans notre perspective de réveil internationaliste, avant-gardiste et postcapitaliste car ce que ces deux journées nous ont appris, c’est assurément que ces boussoles doivent toujours être appréhendées à l’aune de notre responsabilité envers l’avenir de la terre, notre responsabilité envers l’avenir de tous les vivants.
À Bruxelles, on le dit sans détour : il est temps de former une majorité de gauche cohérente avec le vote populaire. Un projet clair, écologique, social. Pour une ville à la croisée des enjeux du siècle. Comme ce vote tout récent du Parlement bruxellois sur les loyers abusifs.
On y va. On s’organise. Comme le disait Thomas Sankara : « L’émancipation ne se mendie pas. Elle se construit. » Alors, construisons. Refusons l’endormissement. Intensifions les luttes, en les faisant converger, pour réapprendre à cohabiter, sans exploiter. Oui, les menaces sont bien là. Mais les alliances qu’on tresse aujourd’hui sont fécondes.
Comme le répétait mon ami Luc Carton : « C’est du travail de la culture que l’on peut attendre les nouvelles coalitions de gauche. Non pas les attendre. Les faire. En assumant les héritages du mouvement ouvrier, du mouvement écologiste, et bien sûr, des luttes des femmes ». Cette année, je lui laisse le dernier mot.